Destination Vieillistan, le podcast qui célèbre le vieillir LGBTIQ+
Aux origines du podcast Destination Vieillistan se trouve, pour Aurélie Cuttat et Christine Gonzalez (photo) , un rapport complexe à la vieillesse.
C’est ce qu’explique Christine: «J’ai 43 ans. Je suis à un âge où je me demande ce que je veux pour la suite, comment je vis l’idée de vieillir. Je me suis rendu compte que ces questions m’habitaient. On a tendance à les mettre sous le tapis, car on rejette la vieillesse. On a été construit·e·x·s dans l’idée que c’était un déclin, un naufrage.» La journaliste parle à ce titre de la «triple peine d’être femme, lesbienne, et de vieillir». ...
Un «naufrage» pour l’ensemble des individus, mais particulièrement pour les personnes LGBTIQ+, sujettes à l’isolement, au rejet et aux difficultés d’accès aux soins.
Vécues tout au long de leurs parcours, ces violences ont tendance à s’exacerber à l’approche du grand âge. Il se pose alors la nécessité de donner à entendre ces trajectoires de vie invisibles, comme le raconte Aurélie Cuttat, 36 ans, également journaliste: «La question du vieillir LGBTIQ+ ne se pose pas pareil pour toutes les personnes de la communauté. L’idée, c’était de sortir du monde lesbien et d’ouvrir le propos aux personnes qui nous parleraient du vieillir queer avec une perspective, des problèmes et des enjeux différents. On part, par exemple, à la rencontre d’une femme trans lesbienne de 79 ans.»
Imaginaire très déprimant
Destination Vieillistan vise ainsi à conjurer le manque de représentations, dans une société où la vieillesse est ignorée, lorsqu’elle n’est pas taboue. Avec des conséquences dommageables chez les individus, surtout lorsqu’ils se trouvent déjà à la marge. «Pour moi, avant les rencontres effectuées dans le cadre du podcast, vieillir lesbienne c’était vieillir seule, sans enfants, dans la tristesse… Il y a tout un imaginaire très déprimant. Ça empêche des potentiels de projection», regrette Christine Gonzalez.
Le maître-mot des deux femmes: recréer du lien intergénérationnel, dans une perspective de mémoire communautaire et militante. «On a parcouru beaucoup de médias avec Aurélie en disant qu’on était fières d’être lesbiennes. On a envie de donner la parole à celles grâce à qui on peut le dire aussi librement, et qui par la force des choses sont aujourd’hui senior.» Elles racontent à ce titre leur entretien avec trois lesbiennes qui animaient un «quart d’heure lesbien» dans le cadre d’une émission diffusée sur une radio pirate dans les années 90: «On découvre des archives incroyables. Ce qui était dit et revendiqué à l’époque, c’étaient les mêmes phrases, les mêmes slogans. Ça nous a rappelé qu’on a une petite mémoire, et qu’il était important que l’on se réapproprie notre histoire. On manque de connexion intergénérationnelle.»
L’objectif de ces entretiens: réussir à décaler les regards et à prendre en compte les trajectoires spécifiques de nos aïeules et aïeux. Aurélie cite l’exemple de l’injonction au coming-out, qu’elle avait «complètement intériorisé», avant de déconstruire cet impératif au contact de personnes âgées qui n’ont eu le choix que de cacher leur orientation sexuelle ou leur identité de genre tout au long de leur vie.
Vieillir est une fête Pour permettre l’émergence de ces nouveaux récits et de ce lien intergénérationnel, la dimension d’archivage est importante dans la démarche des deux journalistes. Leur souhait: que les personnes queer qui ont marqué leur communauté à l’échelle locale soient mises à l’honneur. «On pense aux animateur·trice·s·x de la vie queer romande, comme Jacques, patron du Saxo», le plus vieux bar gai de Lausanne.
Au-delà des portraits d’icônes invisibles de la communauté, les différents épisodes s’attacheront à mettre à l’honneur une sorte de philosophie de la vieillesse queer. C’est ce à quoi aspire Christine: «Ma quête personnelle avec ce podcast, c’est qu’on puisse m’expliquer comment me réjouir de la vieillesse. J’ai intégré théoriquement les réflexions sur l’âgisme. Mais je suis encore très effrayée à l’idée de vieillir. Je suis convaincue que c’est parce que je manque de narrations, et que ces rencontres-là vont me permettre à moi autant qu’à nos auditeur·trice·s·x de trouver une voie vers la sérénité. J’aimerais qu’on me raconte que vieillir est une fête.»
Aurélie Cuttat indique enfin ne pas vouloir s’adresser qu’aux personnes LGBTIQ+: «Le vieillissement est une expérience commune à tout le monde. Cette thématique nous réunit. On veut créer un sentiment d’appartenance et d’unité. Que les gens se disent: “Mais c’est trop bien de vieillir!”». Une belle manière de montrer que les enjeux queer peuvent eux aussi toucher à l’universel.
Source et suite de l'article ►360.ch -13/03/2023
Poids:
0